Ma propriétaire est une coquine
Ce
mois-ci, de multiples tracasseries d'intendance (compteur du gaz proche
de zéro, éclairage/aération de la salle de bain qui n'éclaire ni n'aère) m'ont amenée à
avoir des contacts multiples et variés avec ma propriétaire : téléphone,
texto, balade en 4x4 flambant neuf, et venue chez moi accompagnée d'une armée de trois ingénieurs en électricité, chaussés de sacs de congélation bleus.
Flash back :
à Paris, le mot propriétaire était pour moi fortement associé à
"désagréable",
"pingre", "absent", "méprisant" ... et encore je suis bien élevée.
Toute prise de contact avec mon propriétaire nécessitait au préalable
une intense séance de yoga afin de maximiser mon potentiel
diplomatique.
Zhennan, ma
propriétaire pékinoise, est journaliste. Elle a dans les 35 ans, roule en 4x4 ivoire, parle un anglais parfait, est mère d'un
petit garçon de 4 ans qui va au Kindergarten et saute à pieds
joints avec ses baskets sur mon son canapé
en brandissant dans sa main gauche une kalashnikov orange, et dans sa main droite un tyranausorus rex long comme son bras.
Zhennan
a décidé que je m'appellerai Kamily. Voilà. C'est
pas prononçable autrement de toute façon ton affaire. "Camille", seul
un français y arrive, autant dire personne sur cette foutue planète.
Entre les Camy et les Keumyle, j'ai fini par m'habituer.
Entre nous c'est très simple, de
la même façon qu'elle ne
comprend pas pourquoi mon portable est parfois éteint (avant 9 heures
du matin par exemple, et parfois la journée quand je fais du boudin),
je ne comprends pas pourquoi je n'arrive jamais à la joindre. En cela,
elle ressemble à un propriétaire français. Par contre elle me rappelle
systématiquement quand elle voit que j'ai appelé, et s'excuse de ne pas
avoir entendu son téléphone sonner. En cela, elle ne ressemble en rien
à un
propriétaire français.
Je
me suis habituée aussi à ce qu'elle soit systématiquement vingt minutes
en avance sur l'horaire que nous décidons mutuellement. Si on ajoute
mes dix minutes de retard françaises (quelqu'un pour me contredire?), cela me plonge tout de même
dans une amplitude temporelle de trente minutes à gérer. Je prends sur
moi, j'anticipe. Aussi, quand nous avons rendez-vous à 9h le matin,
qu'elle sonne à 8h40 et chante dans l'interphone qu'elle est làààà lalalaa, je suis fraîche comme la rosée du matin, pas de brutales mutations vocales pré-café qui pourraient trahir mon désarroi.
Zhennan
est pragmatique, il n'y a pas de
problème, il n'y a que des solutions. Par exemple, quand l'autre jour
elle a malencontreusement reculé sur une voiture et enfoncé la portière
du conducteur avec son 4x4 géant,
quelques billets de 100 RMB claqués dans la main de l'automobiliste, ont
rapidement tué dans l'oeuf la colère qui montait en lui. Pas le temps
de discuter avec un bouseux qui roule en Peugeot avec des portes en alu. C'est à ce moment
là que j'ai commencé à l'admirer. Voilà une femme qui sait se faire
respecter.
Son
potentiel comique m'est apparu quand elle a
accompagné l'équipe technique venue chez moi pour réparer l'éclairage
de ma salle de bain. Il est courant ici de se déchausser dès qu'on
rentre dans un appartement, les chaussures de ville doivent rester dans
l'entrée. Les chinois ont donc l'habitude de laisser au pas de la
porte, toute une collection de sandales que les visiteurs
s'empresseront de chausser pour ne pas salir le parquet. Farpaitement
intégrée à mon pays d'accueil, j'ai adopté ces habitudes. Etant souvent
en tongues en
ce moment, je laisse mes tongues dans l'entrée avant d'enfiler mes
pantoufles Ikéa en éponge (oui bon).
Dind dooong ding dooong ding !
- Bonjour Kamily !
- Bonjour Zhennan !
Et
là, scrutage de sol pour déterminer quelle paire de sandales elle
allait bien pouvoir mettre, repérage de mes tongues que je mets en fait
tous les jours, qu'il pleuve ou qu'il vente, et adoption immédiate de
celles-ci comme étant Sa Paire de Pantoufles pour Dedans. Et la voilà
partie dans ma salle de bain avec ses techniciens hermétiquement
chaussés de sacs de congélation, avec aux pieds, mes tongues pleines de
bactéries bituminales que je m'applique à
laisser à l'entrée depuis des semaines.
Conclusion : toute paire de
chaussures dans un périmètre de 50 centimètres de la porte d'entrée,
est forcément une paire de pantoufles. Qu'on se le dise.